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Dégeler les mots
Pourquoi "les mots dégelés" ?
(...) Il nous jeta alors à pleines mains des paroles gelées et qui semblaient des dragées de diverses couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots d'azur, des mots de sable, des mots dorés, lesquels, quelque peu échauffés entre nos mains, fondaient comme neige, et nous les entendions réellement (...)
Rabelais, Le Quart-Livre
Le plaisir de la lecture tient en grande partie à la possibilité qu’elle offre de se retirer, pour un temps, des sollicitations extérieures, d'ouvrir une parenthèse, un moment volé au quotidien et à ses exigences. Un divertissement, oui, mais bien plus que ça : la lecture répond, avec d’autres pratiques culturelles, à une nécessité existentielle, celle de donner du sens à ce que nous vivons. L'important n'est pas tant ce que l'on lit, ni comment et pourquoi, mais l'effet que cela peut produire en nous. Nombreux sont ceux qui témoignent que la pratique de la lecture, qu'elle soit rare, ponctuelle, régulière ou acharnée les a aidés à se construire.
Pourtant, la lecture individuelle et ses bénéfices ne sauraient exister sans qu'il y ait échange avec autrui : livre conseillé, prêté, offert, lu à deux, en famille, écouté en classe, … un chemin de lecteur se construit dans l'interaction, il est jalonné de rencontres, et cela fait partie du plaisir que de pouvoir parler de ses lectures. Quiconque a le goût de lire souhaite le transmettre, le partager.
C’est à cela que nous avons souhaité vous convier, à travers ce festival : des temps de « lectures en partage », pour que les mots des livres ne restent pas gelés mais s’évadent dans l’espace public, prennent corps et se mettent en mouvement par des expériences sensibles et ludiques– ateliers, lecture à voix haute, spectacles… « Dégeler » les mots, briser la glace pour imaginer d’autres formes de lien social…
Il s’agit ainsi pour nous de contribuer modestement à « rendre le monde un peu plus habitable», « de préserver, en ces temps de grande brutalité, des moments de transmission poétique qui échappent à l’obsession de l’évaluation quantitative et au vacarme ambiant », pour reprendre les termes de Michèle Petit, anthropologue spécialiste de la lecture, (Lire le monde, éd. Belin 2014).